Des pistes “pour donner un nouvel élan” à la prévention de la radicalisation

“Valoriser les intervenants sociaux”, “maintenir la pression” face aux discours radicaux, “mobiliser les acteurs religieux”, “tirer les leçons de nos expérimentations” et “apprendre de nos partenaires”. Telles sont les cinq pistes de travail que propose Muriel Domenach, secrétaire générale du CIPDR (Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation), afin de “donner un nouvel élan à la politique de prévention de la radicalisation”. Elle s’exprimait, mardi 4 juillet 2017, lors d’un colloque organisé à Marseille par l’association Unismed. “La lutte contre la radicalisation suppose de donner aux forces de sécurité et de renseignement les moyens de leurs actions”, précise-t-elle. Il est ainsi essentiel “d’agir en amont et en aval”. Elle note par ailleurs que 13 000 personnes ont été signalées pour radicalisation depuis 2014.

“La politique de prévention de la radicalisation a été mise en œuvre dans un contexte très particulier. J’étais à Istanbul à l’époque où, en tant que consule, j’ai traité des départs et des retours de nos compatriotes djihadistes. En rentrant en France à l’automne 2016, j’ai mesuré combien le contexte avait été difficile”, rapporte Muriel Domenach, lors d’un colloque sur la prévention de la radicalisation, mardi 4 juillet 2017 à Marseille.

L’association Unismed
Association loi 1901, Unismed a été créée après les émeutes urbaines de 2005 dans l’idée de “former les acteurs de terrain aux questions de médiation interculturelle, de laïcité, de prévention des violences et de médiation sociale”.
Fondée par Alain Ruffion, psychanalyste et diplômé en sciences politiques, Unismed a commencé à travailler sur la prévention de la radicalisation au moment des premiers départs en Syrie.
Unismed accompagne une centaine de familles et de jeunes confrontés aux extrémismes violents dans cinq départements. Impliquée au niveau des cellules préfectorales, l’association a formé quelque 3 000 agents, notamment au sein de trois conseils départementaux.
“La France n’a pas vraiment de tradition de prévention, notamment dans ces affaires qui sont à la rencontre entre les questions sociales et les questions de sécurité”, poursuit la secrétaire générale du CIPDR. En matière de radicalisation, “la France se reposait sur l’excellence de ses services de renseignement alors que le Royaume-Uni a mis en place une politique de prévention depuis 2005”. Par ailleurs, “les travailleurs sociaux étaient surtout concentrés sur les sujets de discrimination économique et sociaux. Il n’y avait pas de rencontre d’une logique de sécurité avec la logique sociale”.

Désengagement
“En 2014, il a fallu monter de toutes pièces une nouvelle politique publique alors même qu’il n’y avait pas cette tradition”, poursuit Muriel Domenach (lire sur AEF). “En deux ans, nous avons créé un dispositif qui va de la détection à la formation en passant par la prise en charge de jeunes signalés pour radicalisation et par une expérimentation d’un désengagement.” La secrétaire générale souligne sa préférence pour le terme de “désengagement” par rapport à celui de “déradicalisation” : “Comme la plupart des experts, je ne pense pas qu’on puisse déprogrammer quelqu’un. Je pense qu’on peut mettre à distance, désaffilier, on peut tenter de désengager mais je crois que la création d’un homme nouveau ça n’a jamais marché et qu’il convient de garder des ambitions modestes”, explique-t-elle.
La responsable rappelle que le dispositif de prévention qui a été mis en place concerne “la détection via le numéro vert national mais aussi via les états-majors de sécurité”. “Dans chacun des départements, on a en tout 13 000 personnes qui ont été signalées avec une logique qui a pris sur l’ensemble du territoire”, relate-t-elle. “On a également un dispositif de formation, qui a formé 20 000 personnes, essentiel pour sensibiliser, pour faire comprendre ce qu’est la radicalisation mais également ce qu’elle n’est pas. La radicalisation n’est pas la démonstration de signes religieux, c’est le lien entre une idéologie extrême et un possible basculement vers la violence. En cela, l’islam n’a aucun monopole, on voit ailleurs se
développer une radicalisation d’extrême droite et c’est un phénomène auquel il faut être extrêmement vigilant”, détaille la secrétaire générale.

2 600 jeunes accompagnés dans les dispositifs de prise en charge

En outre, les dispositifs préfectoraux mis en place ont permis la prise en charge de 2 600 jeunes signalés pour radicalisation et 800 familles “en croisant les logiques sociales et de sécurité, en faisant travailler ensemble des gens qui ne se connaissaient pas nécessairement, les services de l’État, les services de sécurité, les services publics sociaux mais également les intervenants de la société civile dans ces cellules dites de prévention et d’accompagnement des familles”. Cependant, elle explique que le dispositif de prise en charge reste “à améliorer” : “Il faut lui donner davantage de cohérence. Mais c’est en partant des intervenants de terrain, à travers les différents territoires qu’on arrive le mieux à intervenir”, note Muriel Domenach. “On doit structurer davantage, on doit mieux évaluer, mieux suivre mais on n’uniformisera pas car la prévention repose sur la diversité des acteurs.”

Le détail des pistes de travail

Toute action de prévention se développe sur l’expérimentation, selon elle. “On essaie, on tâtonne, on ajuste. L’essentiel est de parvenir à ajuster”, explique Muriel Domenach. Pour donner un “nouvel élan” à la prévention de la radicalisation, elle estime qu’il faut d’abord “valoriser les intervenants sociaux de droit commun”. “Ils sont majoritaires aujourd’hui dans la prise en charge des jeunes radicalisés, ce sont des partenaires fiables”. “Le temps des gourous autoproclamés de la déradicalisation est derrière nous”, précise-t-elle.
Elle revient également sur l’avis de la CNCDH qui, selon elle, “formule une critique radicale de l’implication des travailleurs sociaux dans la prévention de la radicalisation en mettant en cause une ‘subversion’, une ‘contamination de leur travail par une logique sécuritaire'”.
“Le risque de la radicalisation est le basculement dans la violence et, par cette violence, les terroristes sont susceptibles d’atteindre un effet démesuré par rapport aux pertes humaines. Oui, il y a une logique sécurité, c’est évident. Mais cela ne veut pas dire que l’ensemble de la démarche et que les leviers sont sécuritaires”, rétorque Muriel Domenach. “Au contraire, si on n’implique pas les professionnels de droit commun dans la prévention de la radicalisation, on se trouvera soit avec du tout répressif soit avec des gourous autoproclamés.”

Elle préconise également de “tirer les leçons des expérimentations”. “En Indre-et Loire, on s’est trompés en travaillant avec des volontaires. Sans doute faudra-t-il travailler avec des personnes qui sont sous main de justice”, souligne-t-elle.
La secrétaire générale du CIPDR estime qu’il faut aussi “maintenir la pression [face aux discours radicaux] comme on a pu le faire au plus haut niveau et très vigoureusement depuis l’arrivée du nouveau président de la République”. Elle note “la convergence qu’il a su aménager avec Theresa May”. Elle cite ainsi le plan d’action franco-britannique envers les acteurs de l’internet pour retirer le contenu négatif des sites notamment. Elle parle aussi du développement du contre-discours.
Muriel Domenach souhaite aussi “mobiliser les acteurs religieux”. Enfin, “il faut apprendre de nos partenaires”. “La France n’est pas seule, d’autres que nous expérimentent, évaluent et peuvent nous faire part des résultats de leurs tentatives”, assure-t-elle. “Il faut faire se rencontrer les différentes expertises. C’est par la pratique et une expérimentation assumée qu’on peut faire œuvre utile”, conclut Muriel Domenach.